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Portrait. Le combat d'une vie de Sébastien Boueilh, qui lutte contre les violences sexuelles et le harcèlement

  • Sébastien Boueilh, président fondateur de l'assocation "colosse aux pieds d'argile". Sébastien Boueilh, président fondateur de l'assocation "colosse aux pieds d'argile".
    Sébastien Boueilh, président fondateur de l'assocation "colosse aux pieds d'argile". Serge Lafourcade
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Adolescent violé, Sébastien Boueilh s'est servi de cette profonde blessure pour se construire en tant que personne et devenir un rugbyman accompli. Depuis 2013, il a fondé l'association "Colosse aux pieds d'argile", qui vise à lutter contre les violences sexuelles, le harcèlement et le bizutage dans le monde sportif. Une institution qui a pris une dimension sans équivalent dans le monde.

L’histoire de Sébastien Boueilh est bien connue. L’ancien talonneur de Saint-Paul-lès-Dax, de Dax et même de France Amateurs, a été, dans sa jeunesse, régulièrement victime de violences sexuelles. De 12 à 16 ans, Sébastien fut violé par un cousin, que le village avait aimablement surnommé "Cricket".

À l’époque, "Cricket" était le "joyeux luron" de Thétieu, un hameau des Landes coincé entre Dax et Mont-de-Marsan. Là-bas, le diable avait "le masque d’un clown", sévissait dans sa voiture, au milieu des forêts de pin ; une fois son crime accompli, "le diable" raccompagnait alors le petit Sébastien en lui faisant promettre de "garder le secret". Arrivé chez les Boueilh, le bourreau s’installait alors, au-dessus de tout soupçon, à la table de la cuisine où il prenait le café avec les parents de sa victime…

Dans les faits, le calvaire de Sébastien Boueilh a duré quatre ans. Au vrai, il fut bien plus long et se termina seulement en 2013, au jour où son agresseur, depuis libéré, fut condamné à plusieurs années de prison par le tribunal de Mont-de-Marsan. Depuis, l’ancien talonneur saint-paulois a créé une association, "Colosse aux pieds d’argile", qui bat le pavé pour sensibiliser le monde du sport aux risques de la pédocriminalité. En 2020, il a aussi décidé de prendre la plume pour raconter son histoire et publier un livre du même nom que son association aux éditions Michel Lafon.

"La seule famille qui ne m’a jamais abandonné, c’est celle du rugby"

Une façon pour lui de mener la lutte contre les violences sexuelles et aussi de faire son chemin vers la résilience : « Je me suis toujours servi de ce que j’ai subi comme d’une force pour atteindre mes objectifs : jouer en première à Saint-Paul lès Dax, jouer en Pro D2 à Dax, intégrer l’équipe de France Amateurs… Mais quand j’ai parlé, des gens ont bousillé ma vie. Après le procès, j’ai gagné 60 % de ma résilience. Le soir même, j’ai fondé l’association et c’est ce qui m’a permis de l’atteindre. J’ai perdu toute ma famille dans tout ça. La seule famille qui ne m’a jamais abandonné, c’est celle du rugby. J’y ai trouvé une solidarité extraordinaire. Je reçois tellement de messages de soutiens, les joueurs ou ex-joueurs de Top 14 comme Thierry Dusautoir, Morgan Parra, Julien Pierre avec qui je suis proche, Rabah Slimani… Ils répondent toujours dans la seconde. Les anciens comme Berthozat, ou Ondarts m’envoient des mots qui me touchent… C’est beau et ça fait du bien." 

L’année dernière, Boueilh et tous ses soutiens ont fêté dignement la décennie d’existence de l’association. Aujourd’hui, l’ancien talonneur mesure le chemin parcouru : "J’ai fondé l’association en 2013 et depuis, on peut dire que les violences sexuelles sont devenues un vrai sujet dans le mouvement sportif. Avant, il était chuchoté, maintenant il est vraiment sur la table. Les choses se sont accélérées sur les cinq dernières années, quand Roxana Maracineanu a pris ses fonctions de ministre des Sports. Sur le terrain, on a vu une vraie prise de conscience. Ensuite il y a eu des affaires qui ont attiré la lumière sur le sujet, comme l’enquête de Disclose qui a révélé que de nombreuses fédérations mettaient le sujet sous le tapis pour ne pas perdre de licenciés (intitulée "Le revers de la médaille", parue en janvier 2020, NDLR) et aussi la prise de parole de la patineuse française Sarah Abitbol. Les médias ont fait écho à ces affaires, et ces témoignages ont permis de conscientiser ce problème."

2 600 interventions annuelles, 90 000 bénéficiaires

Aussi féroce fut sa détermination, l’ex-talonneur dacquois s’est vite rendu compte que comme sur un terrain de rugby, il ne pouvait mener ce combat seul : "L’association est devenue professionnelle en 2016, car je me suis vite rendu compte que le bénévolat avait ses limites et surtout sur un sujet comme celui-ci. Il fallait que je développe l’association, que je reçoive la parole, que je la signale et que j’oriente la victime dans l’accompagnement. Cela faisait beaucoup pour une seule personne et je ne regrette pas d’avoir professionnalisé ce combat. Aujourd’hui, nous sommes 35 salariés et cela nous permet d’être quotidiennement sur le terrain. L’année dernière, nous avons fait 2 600 interventions pour 90 000 bénéficiaires, il n’y a pas d’équivalent en Europe et on n’en pas encore trouvé dans le monde.

Pour faire un parallèle, même les anciennes gymnastes américaines qui avaient été victimes de terribles sévices de la part de leurs sélectionneurs (lesquels avaient donné lieu à une série de reportages sur Netflix) se sont depuis constituées en association, mais celle-ci ne compte que neuf salariés et ne s’engage pas dans la prévention.
Mais ce n’est pas fini. "Colosse aux pieds d’argile" n’a pas encore terminé sa croissance : "On développe l’Europe. On a une antenne en Espagne, mise en place par Franco Pani, l’ancien talonneur de Brive et de la Rochelle. On avait aussi ouvert une antenne en Argentine mais l’Espagne se développe bien. L’ancien centre de Bourg-en-Bresse est aussi parrain. On a mis en place des programmes de résilience par le sport pour les victimes, et on veut ouvrir une maison d’accueil et de résilience par le sport. Le sport aide à se remobiliser. On travaille aussi avec les auteurs, pour leur faire conscientiser le mal qu’ils ont fait et éviter la récidive. Attention, on ne soutient pas les auteurs. Malheureusement on s’est rendu compte qu’ils avaient été eux-mêmes, en majorité, victimes de violences sexuelles. En les accompagnant, on coupe donc le problème à la racine. On va aussi renouveler la convention avec la FFR, après les Jeux olympiques. Le président Florian Grill a décidé de réengager la fédération."

Bizutage : "La minorité qui ne rit pas est traumatisée"

En parlant de FFR, où en est son combat dans le rugby ? Boueilh estime que là aussi, du chemin a été parcouru : "La parole s’est libérée et les pratiques ont changé. La principale évolution, c’est que les entraîneurs ne vont plus se doucher avec les gamins. Nous les, rugbymen, on était les champions de France tous sports confondus pour ça. Tous les gars de notre génération ont connu ça en école de rugby. Aujourd’hui, c’est à la marge car il existe des réticents mais on continue de travailler. L’autre sujet dans le rugby, c’est le bizutage, qui est souvent à connotation sexuelle. Et si je pouvais pousser un coup de gueule, ce serait envers tous ceux qui communiquent et partagent sur les écrans ces bizutages, en Top 14 ou dans le Pro D2, clubs et diffuseurs. Ça fait rire tout le monde de voir des Espoirs se faire raser la tête, mais sur le terrain, je peux vous assurer que tout le monde ne l’accepte pas. Le bizutage est un délit puni par la loi, avec six mois de prison et 7 500 euros d’amende. Les sanctions peuvent être beaucoup plus graves s’il y a une connotation sexuelle." Et l’ex-talon de citer son exemple personnel : "Jeune, j’ai souvent été surclassé. Du coup, j’étais souvent bizuté. Et j’étais le seul à mettre des marrons parce que je ne voulais pas me mettre à poil pour aller toucher la vitre du fond. Ce que mes coéquipiers ne savaient pas, c’est que le vendredi j’étais violé dans une bagnole. Et eux, ils rigolaient."

Fort de son expérience sur le terrain, le Landais peut se targuer d’avoir écouté cette fameuse minorité silencieuse, celle que personne n’entend : "On peut créer des liens tout aussi forts en faisant des journées d’intégrations avec des défis drôles et qui restent dans les règles. On ne force pas quelqu’un à montrer son cul à la fenêtre, point. Cela fait souvent rire la majorité. Mais la minorité qui ne rit pas, elle est traumatisée. On a des joueurs ou des athlètes qui ont arrêté leur carrière. J’ai connu un Espoir, solide, deux mètres de haut, dans un club en Charente-Maritime, qui a arrêté de jouer parce qu’on l’a forcé à se raser la tête. On y est tous passés mais cela ne veut pas dire que tout le monde le vit bien." 

Et Boueilh de citer l’exemple du handball : "Le rugby a encore de travail. La fédération de handball a notamment eu de gros problèmes d’affaires de bizutages qui ont été notamment inspirées par la génération des Barjots. D’ailleurs, Eric Quintin, ancien membre de ces Barjots et responsable du pôle à Aix-en-Provence, n’avait pas hésité à renvoyer huit pôlistes bizuteurs. Depuis, la fédération est passée à la tolérance zéro."

À 45 ans, Sébastien Boueilh a encore des projets plein la tête. Le dernier en date ? Une collaboration avec l’ex-pilier de Rouen Jérémy Clamy-Edroux qui avait eu le courage de faire son coming out face aux caméras de Canal + : "On va intervenir ensemble pour casser les stéréotypes, éviter les amalgames, et lutter contre l’homophobie et les violences sexuelles, sous la forme d’une conférence à deux voix." Et son combat n’est pas fini. Seulement, il a besoin de moyens pour le mener : "Nous sommes en difficulté financière, car on accompagne les victimes et les victimes collatérales gratuitement. L’année dernière, cela nous a coûté 200 000 euros. On ne peut plus supporter seuls ce financement, donc on a fait un appel à dons qui a fonctionné mais qui est insuffisant, d’autant que les subventions ont énormément baissé." Voilà pourquoi aujourd’hui, le colosse aux pieds d’argile a besoin, lui aussi, d’être soutenu afin de continuer à réparer des destins brisés et à prévenir avant que d’autres se brisent encore.

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Les commentaires (1)
LoupVert Il y a 17 jours Le 16/05/2024 à 13:21

Magnifique reportage sur la forme et surtout sur le fond.
Une vraie interview "à l'ancienne" et qui n'est pas ponctuée de vos "et alors" "poursuivez" "mais encore" "et" etc. qui polluent la quasi totalité des interviews de MO et qui, pour ma part, m'insupportent (dernier article en date : l'interview de JB Aldigé).