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JPR : trois lettres ineffaçables

Par Jérôme Prévôt
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JPR Williams a marqué d’une profonde empreinte le rugby gallois et britannique. Pas seulement par ses rouflaquettes et sa crinière au vent. Il a révolutionné le poste d’arrière, qu’il pratiquait à la façon d’un bélier impassible. Et le soir, dans les hôtels, il se plongeait dans des livres de médecine.

I l est mort lundi, à 74 ans. d’une méningite. bactérienne. On l’a aussitôt revu, chevaucher vers l’avant, la crinière en bataille, les chaussettes baissées, joues ceintes de ses fameuses rouflaquettes, signature visuelle d’une époque qui convertissait les rugbymen au look de pop stars. Il fallait peut-être ça, au début, pour compenser la banalité de son nom, John Williams, dit JPR, pour le singulariser de ses nombreux homonymes. Le commentateur qui forgea ce surnom à trois initiales mérite quand même un remerciement. Ça date de 1974 quand il fallut le différencier de l’ailier-lévrier JJ Williams, une étoile lui aussi. Un commentaire de la tournée des Lions resta célèbre : "John Williams passe à John Williams qui remet à John Williams… qui marque !" Il fallait faire quelque chose.

À Colombes, en 71, il inverse la pression

Mais JPR Williams évoluait dans une autre dimension. Son accent n’était pas à couper au couteau, signe d’une éducation soignée, mais il fait évidemment partie des icônes des années d’or du rugby gallois. Le seul avec Gareth Edwards, à avoir connu les trois grands chelems (71-76-78) en jouant tous les matchs en plus. En plus, son entrée en scène coïncida peu ou prou avec l’apparition de la télévision en couleurs. En 1971 à Colombes, sa tunique d’un rouge éclatant vint doucher nos espoirs en inversant brutalement la pression d’une longue relance française. JPR flaira le coup, surgit et intercepta une passe de Roger Bourgarel. On le vit alors arpenter le terrain à grandes foulées sur 50 mètres en ligne droite, avant de s’offrir un crochet intérieur, subtile manœuvre pour fixer deux défenseurs en repli, et propulser à son extérieur Gareth Edwards vers l’essai.

Ce ne fut que notre première rencontre avec ce phénomène qui revêtirait 55 fois le maillot national (69-81), et huit fois celui des Lions. Mais JPR Williams n’est pas resté dans l’histoire que pour son palmarès ou sa physionomie. Il a révolutionné le poste d’arrière. Il ignorait bien sûr le classicisme du numéro 15 "dernier rempart" ou "petite sentinelle", mais il n’était pas le seul, Pierre Villepreux le fit aussi à la même époque. On pourrait en citer d’autres, c’était dans l’air du temps, les arrières devenaient offensifs, ils s’intercalaient ils relançaient. 

Mais JPR Williams apporta encore autre chose, par sa force physique. Il avait cette faculté à "recharger" le jeu en remontant les ballons, pour venir défier les avants et créer des points de fixation. Avec lui la dernière ligne de défense, devint le point de départ de l’attaque, c’était complètement nouveau pour les Britanniques. Si Irvine fut un mousquetaire, Blanco une panthère, lui faisait figure de bélier, ou de char d’assaut.

Il faisait très mal à l’impact et ses adversaires, même costauds en avaient peur. Jamais on avait vu un numéro 15 prêt à ce point au "défi physique" (l’expression n’avait pas cours à l’époque). Il avait donc cette faculté à "casser les plaquages" (on ne disait pas ça non plus), face à lui les défenseurs anglais des années 70, notamment ressemblaient parfois à des enfants. Il était difficile de le ceinturer, très difficile de l’arrêter et presque impensable de le renverser. D’ailleurs, chose hallucinante, jamais JPR Williams n’a perdu un match face au XV de la Rose, en onze occasions.

Ses adversaires ne le ménageaient pas. Un jour un deuxième ligne international français nous avait expliqué que les avants tricolores s’étaient organisés pour lui tendre des embuscades, des pièges en forme d’entonnoir destiné à lui administrer une petite "fourchette". En 1972, en réception de chandelle, les All Blacks avaient lancé un bon vieux raid sur lui, histoire d’essuyer leurs crampons, un cas d’école. La carrière de JPR fut rythmée par une série de blessures de guerres (onze sérieuses, dont six à la face) : une pommette fracturée durant la dernière demi-heure d’un Écosse-Galles, un traumatisme qu’il masqua à la perfection, ce fut une constance chez lui, ne jamais afficher de signes de souffrance : "Je ne me suis jamais autorisé une grimace de souffrance. Je voyais ça comme un signe de faiblesse, et je pensais que ça donnerait un avantage à l’adversaire."

La "gueule cassée de Bridgend"

Il vécut son moment christique en décembre 1978 quand avec son club de Bridgend, il affronta les All Blacks en tournée. "Nous avions une bonne équipe, capable d’exploits sur un match. De toute façon, JPR jouait pour Bridgend comme il l’aurait fait pour le pays de Galles ou les Lions", confie le centre Lyndon Thomas, jamais capé. Le pilier adverse John Ashworsth se crut obligé de lui labourer la face, causant une horrible plaie béante qui lui fit perdre deux pintes de sang. JPR fut bien obligé de sortir, son maillot maculé de bouillasse, défiguré comme une gueule cassée de 14-18. En 20 minutes, il reçut 30 points de suture des mains de son propre père, Peter Williams, président du club et de ses trois jeunes frères, Philip, Chris et Mike, tous médecins, un ami dentiste fut même appelé en catastrophe. Il faut imaginer la scène, dans les vestiaires exigus, quatre personnes qui en recousent une autre, tout en lui demandant de ne pas revenir sur la pelouse, en vain. JPR ne voulait pas montrer le moindre signe de fragilité. "C’était pourtant, une blessure horrible. On voyait à travers sa joue. Il m’a juste dit : "Steve, tu prends le capitanat, je reviens dans deux minutes." Je lui ai dit : ce n’est pas possible, tu vas plutôt aller à l’hôpital ! Et puis quelques minutes après, j’ai entendu le public rugir, et je l’ai vu revenir à mes côtés, il ressemblait au monstre de Frankestein", se souvient Steve Fenwick, centre international. JPR fut illico testé par une nouvelle chandelle. Malgré une opposition pleine de bravoure, Bridgend s’inclina 17-6 face aux maîtres de l’hémisphère sud, l’après-match fut très lourd, une bagarre éclata dans les vestiaires, le père de JPR fit allusion à l’agression dans son discours d’après match, dix All Blacks se levèrent pour sortir de la salle. JPR fut vexé de ne jamais recevoir d’excuses, sinon trente ans plus tard, via une bouteille de vin.

À son talent et à sa puissance naturelle, JPR ajoutait donc le courage et la férocité : "Je tenais ça de ma mère, une fille de Rochdale dans le Lancashire devenue médecin. Elle m’a donné cette soif de réussir, j’ai été élevé dans cette idée de saisir toutes les chances que la vie me proposait. J’ai joué de plusieurs instruments de musique, j’ai été chanteur solo dans un chœur à l’église. Très tôt, je me suis retrouvé en train de faire mes preuves en public et ça m’a permis de faire face quand il fallut trouver en moi le tempérament propre aux grands matchs." Des coups, il en prenait, il en donnait, des presque légaux, comme le caramel avec l’épaule sur Jean-François Gourdon qui préserva le Grand Chelem 76 (il serait sanctionné aujourd’hui) ; des pas du tout  légaux comme le coup de pompe administré en 1972 au numéro 8 écossais Peter Brown qu’il venait pourtant de mettre sur les fesses. Il fut sévèrement châtié en retour sur les chandelles suivantes.

JPR y allait franco de port en toutes circonstances, sous le maillot des Lions de  1974 en tournée en Afrique du Sud, il piqua l'un des sprints les plus incisifs de sa carrière pour se mêler à une bagarre générale, il se mesura au plus gros gabarit des Springboks Moaner Van Heerden. Il portait alors un curieux bandana qui lui donnait une touche de hippy. Il était un vrai totem du pays de Galles, mais son pays ne visitait  pas les contrées lointaines. De son propre aveu, ce sont les Lions qui lui ont donné le plus de plaisir, parce qu’il adorait les tournées et les amitiés qu’elles suscitaient. "C’était le summum, nous partions trois mois pour pas un rond. Mais c’était une grande aventure, comme si nous partions à la guerre. Les amitiés que j’y ai scellées sont, de loin, les plus fortes." Avec eux, en Nouvelle-Zélande en 1971, il réussit même un drop décisif, l’un des deux qu’il tenta sur la scène internationale, car le jeu au pied n’était pas sa tasse de thé, le comble pour un arrière. 

Une moitié à casser des os ; l’autre

à les réparer

On ne le cache pas, nous avions gardé de lui une image un peu trop romantique. Car en se repenchant sur sa carrière hors norme, on se rend compte qu'il ne dédaignait pas les interventions qu’on qualifierait aujourd’hui de cyniques, comme cette obstruction sur l’Irlandais Mike Gibson en 1978 qui, encore une fois, préserva un grand chelem : "C’était une faute "professionnelle", j’étais professionnel par mon attitude à une époque, qui ne l’était pas." Il n'était donc pas tout à fait le joueur chevaleresque que la mémoire collective a fabriqué, c'était surtout, "le compétiteur des compétiteurs" selon les mots de Carwyn James, entraîneur légendaire des Lions (et de Llanelli, mais pas du  pays de Galles). Ce technicien trop tôt disparu avait un jour décrit ainsi son poulain JPR : "C'était un animal de la forêt. Il était doté d'un sixième sens pour repérer le danger, une chose qu'il recherchait et qu'il aimait en fait. Il était sans peur et sans concession."

 

JPR termina sa carrière là où elle avait commencé 12 ans plus tôt à Murrayfield en 1981 après une triste "nuit des longs couteaux". Il aurait mérité mieux, lui qui était déjà sorti d’une première retraite en 80, mais il tourna vite la page : "J’ai passé la première moitié de ma vie à casser des os, la seconde à les réparer", philosophait-il car évidemment, lui aussi fit des études de médecine jusqu’à devenir chirurgien orthopédique. "Dans le secret de notre chambre d’hôtel, il déballait des tonnes de livres pour réviser ses examens", confia Gerald Davies, ailier vedette. Ce statut d’amateur éclairé, il l’a toujours revendiqué avec des mots touchants pour son père, Peter qui le dissuada de devenir professionnel… de tennis, pour le pousser à devenir carabin : "Oui, j’ai gagné les championnats juniors de Grande Bretagne, j’aurais pu faire une carrière et mon père m’a dit : "Le sport c’est pour l’amusement, pas pour l’argent. Tu dois avoir un vrai métier." Il avait raison, je le remercie. Il faut faire du sport sérieusement, mais ce n’est pas un aboutissement." Il prit la direction de Londres et ses universités, l’hôpital Saint-Mary et le club des London Welsh alors à son zénith. Il reviendrait plus tard à Bridgend pour installer une clinique. Cette seconde vie prenante explique qu’il restait assez rare sur le plan médiatique et qu’il n’entraîna jamais à haut niveau.

JPR ne cachait pas une certaine nostalgie de ses années fastes. Il l‘exprima en 2001 à l’un de nos confrères (Ian Borthwick, L’Équipe) avec des mots qui nous sont restés en tête et que nous relisons souvent. Il déplorait une certaine baisse du niveau intellectuel des joueurs modernes : "Comme ils voient le rugby comme une carrière ils laissent tomber les études le plus tôt possible. Quand je pense à l’avenir de notre sport, ça me perturbe. Petit à petit, ça commence à déteindre sur la culture générale du rugby." JPR avait joué jusqu’à 54 ans, à Tondu, un club de village. Il avait été atterré par les déclarations d’un joueur international qui avait déclaré que sa retraite venue, il ne voudrait plus voir un ballon de rugby de sa vie : "Nous avons joué pour le plaisir, mais pour les joueurs d’aujourd’hui, le rugby, c’est un boulot. C’est triste non ?"

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