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Champions Cup - "Le soutien, ce maître-mot de la philosophie toulousaine" : la chronique de Xavier Garbajosa

Par Xavier Garbajosa
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Qui mieux que Xavier Garbajosa peut évoquer aujourd’hui la culture du jeu à la toulousaine. Notre consultant Midi Olympique a porté les couleurs du Stade toulousain durant de très longues années et porte en lui l’ADN d’un jeu pas tout à fait comme les autres. L’ancien international vous fait pénétrer ici dans les coulisses de la formation rouge et noire.

"Si je te vois rester près de ta ligne de touche à attendre le ballon, je te sors." Voilà ce que me répétait Guy Novès à mes débuts avec l’équipe première. Le jeu toulousain est porté sur la liberté et la prise d’initiative. Jamais on ne m’a interdit de relancer un ballon. Jamais. Au contraire. Mais on m’a appris à jouer les duels, à jouer dans les espaces libres, avec mais surtout sans ballon. Avec l’idée aussi d’être une menace permanente pour la défense adverse.

Je me souviens de cette phrase de Daniel Santamans, entraîneur des "Reichel" du Stade toulousain de l’époque. Il me répétait en permanence : "Un ballon doit rester vivant. On te le donne vivant, tu le rends vivant." À travers ce mantra, chaque joueur devient chaque jour un peu plus responsable de ce qu’il fait pour l’équipe. Jouer à ce jeu fait grandir les joueurs mais aussi les hommes. On apprend très jeune à prendre des initiatives et à les suivre. Quelles qu’elles soient. Bonnes ou mauvaises. Et c’est là que le jeu sans ballon, si précieux, prend toute son importance. Converger, apporter un soutien permanent, voilà le maître mot de la philosophie rouge et noire mais cela demande de faire des efforts constants.

C’est la première pierre du jeu toulousain et ce qu’on apprend dès le plus jeune âge. Franchir le premier rideau adverse, relancer un ballon, prendre une initiative personnelle, c’est bien. Mais à quoi bon si les soutiens ne sont pas au contact, s’ils ne sont pas bien placés, s’ils ne se projettent pas vers l’avant pour offrir des solutions aux porteurs ? La notion de travail sans ballon est capitale à Toulouse. Dans le rugby moderne, on travaille un lancement et tous les temps de jeu en suivant. C’est bien. Ça rassure l’entraîneur. Peut-être aussi les joueurs. Mais que se passe-t-il si au premier temps de jeu, le ballon ne sort pas comme prévu ? Comment fait-on pour avoir de la continuité ? Comment fait-on pour assurer les soutiens, pour transformer le jeu ?

Cette méthode éducative basée sur le rôle multifonctionnel de chaque joueur pour rendre plus fluide le mouvement du ballon est le socle de l’ADN toulousain

C’est là où le Stade toulousain se différencie des autres clubs de Top 14 en développant la notion d’adaptabilité et de polyvalence chez ses joueurs en les entraînant sans cesse à répondre à des situations de jeu soudaines et non prévues, c’est là où le travail invisible des soutiens prend tout son sens. Parce que cette culture du jeu sans ballon s’apprend dès le plus jeune âge. Savoir travailler pour les autres sans avoir le ballon est essentiel. Au-delà des préceptes et culture que tous les clubs revendiquent, le Stade toulousain a une identité parfaitement reconnaissable de tous. Une culture de jeu résumée simplement par le mouvement permanent du ballon et des joueurs. Ce n’est pas nouveau, ça date de l’époque de Robert Bru, au début des années 80. Cette façon de penser le rugby a depuis toujours été prolongée. Par Pierre Villepreux et Jean-Claude Skrela, par Guy Novès puis aujourd’hui par Ugo Mola (et Didier Lacroix). Vous l’avez remarqué : on ne retrouve ici que des entraîneurs passés dans ce moule toulousain. Tous ont porté le maillot rouge et noir.

Il n’y a pas de meilleur entraîneur qu’un garçon éduqué, biberonné à la mamelle toulousaine pour transmettre cette identité. Il faut l’avoir vécu pour la comprendre, pour la transmettre. Cette méthode éducative basée sur le rôle multifonctionnel de chaque joueur pour rendre plus fluide le mouvement du ballon est le socle de l’ADN toulousain d’aujourd’hui. Elle est merveilleusement incarnée par de nombreux joueurs ayant fait leur classe dans les catégories de jeunes. Inutile de tous les citer, vous les connaissez. A contrario, il arrive qu’un joueur venant de l’extérieur, habitué à d’autres projets de jeu, d’autres convictions, ait du mal de prime abord à s’intégrer au Stade toulousain en raison de la méthodologie de travail et d’entraînement.

Kinghorn a sans doute été éduqué à un rugby bien différent mais ses qualités, sa polyvalence, en font un élément "toulousain"

Venant d’ailleurs, ce rugby peut sembler bordélique, pas structuré. Vraiment. Surtout lorsqu’on vient d’un rugby systémique, programmé, préprogrammé. Mais ce rugby est une façon de responsabiliser le joueur de lui donner un peu plus de profondeur dans sa réflexion sur le "Je au service du jeu". Je m’explique : ce rugby "bordélique", souvent dans le désordre, c’est le meilleur moyen pour un joueur d’apprendre à s’adapter aux situations et à prendre la meilleure décision possible en fonction des situations, sous contraintes. Je vais vous faire une confidence : mon plus grand regret est de ne pas être arrivé au Stade toulousain plus jeune. J’avais 16 ans lorsque j’ai rejoint le club. C’était déjà presque trop tard. Sans doute aurais-je été meilleur si j’avais été bercé par les préceptes toulousains dès les catégories les plus jeunes.

Vous me rétorquerez qu’Antoine Dupont, l’un des joueurs incarnant peut-être le mieux cette idée du jeu de mouvement, n’est pas passé par la formation toulousaine. C’est vrai. Mais c’est un génie du jeu au QI rugby élevé. Il avait toutes les qualités pour s’intégrer parfaitement au système toulousain. Il était "Stade toulousain compatible". Et je reste persuadé que le jeu et l’identité toulousaine ont permis à Antoine de s’épanouir pleinement. C’est aussi vrai pour l’Écossais Blair Kinghorn. Sans doute, lui l’Anglo-Saxon, a-t-il été éduqué à un rugby bien différent mais ses qualités, sa polyvalence, en font un élément "toulousain". Tout le monde pense qu’il est finalement facile de mettre en place une telle philosophie de jeu. Je vous jure que non : éduquer prend du temps et ça commence par la formation dès le plus jeune âge.

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